Interview de Cécile Duflot dans "la Croix"

  La Croix :  La loi punit déjà sévèrement les loueurs qui proposent des logements insalubles à des prix très élevés. Comment justifier aujourd’hui une nouvelle modification des textes ?  
 Cécile Duflot : La législation actuelle n’a malheureusement pas empêché le phénomène des marchands de sommeil de se développer. Les sanctions, lourdes sur le papier, sont beaucoup trop lentes dans leur mise en œuvre. Pendant qu’il est sous le coup d’une procédure, un marchand de sommeil a tout le loisir de continuer à étendre son commerce. Il faut mettre un coup d’arrêt à la prolifération de cette délinquance. 
Ce sont bien souvent les mêmes personnes qui multiplient les achats immobiliers et finissent par pourrir tout un quartier, voire une ville. Grâce à la loi, l’acquisition de nouveaux lots ou de biens à louer deviendra impossible pour quelqu’un qui aura été condamné comme marchand de sommeil.
 L’interdiction pour un loueur indélicat d’acquérir de nouveaux biens est-elle compatible avec le droit constitutionnel, qui fait du droit de propriété l’un des piliers de notre société ? 
Le droit de propriété, ce n’est pas le droit de mettre en danger la vie ou la santé d’autrui. Car, avec les marchands de sommeil, c’est bien de cela qu’il s’agit. Il y a un peu moins d’un an, je me suis rendue dans la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Trois personnes venaient de périr par les flammes dans un immeuble très dégradé. Des mesures avaient bien été engagées contre les propriétaires, mais ces derniers utilisaient des manœuvres dilatoires pour retarder le nécessaire entretien du bâtiment. Ce drame a beaucoup contribué à ma volonté de renforcer la loi.
 Nombre d’élus locaux se plaignent surtout des délais, qui se comptent en mois ou en années, pour obtenir du préfet un arrêté d’insalubrité ou une interdiction d’habiter les lieux… 
Le vrai sujet est de pouvoir lancer beaucoup plus rapidement la rénovation des logements indignes. Aujourd’hui, le propriétaire indélicat peut jouer la montre sans aucune difficulté. Il lui suffit pour cela de s’engager par courrier à faire des travaux. Quant aux marchands de sommeil, ils ont pour la plupart amassé beaucoup d’argent de manière frauduleuse et ont donc les moyens de faire des travaux. 
Dans la réforme que je propose, les intercommunalités pourront signer elles-mêmes les arrêtés d’insalubrité et soumettre à une astreinte financière de 200 € par jour les propriétaires qui refusent de mettre leur logement aux normes. Et si malgré toutes les astreintes possibles, on n’arrive pas à récupérer l’argent de ces propriétaires malveillants, le plus simple sera encore de saisir le bien. Cela mettra fin au délit par la même occasion.
 Les locataires d’un logement indigne sont souvent victimes de représailles ou de menaces de la part du marchand de sommeil, notamment à la suite du lancement d’une procédure. Cela ne les incite pas à signaler leur situation. Comment mieux les protéger ? 
Il y a d’abord un travail à faire au niveau local pour obtenir davantage de réactivité sur le plan judiciaire. Dans certains territoires, les collectivités se sont associées aux services de l’État et au procureur de la République pour que les procédures aillent plus vite et que les pouvoirs publics puissent mettre en demeure les bailleurs indélicats sans même attendre l’aboutissement de ces procédures. 
Par ailleurs, le produit de l’astreinte de 200 € par jour que nous créons servira notamment à financer le relogement des victimes des marchands de sommeil.
Recueilli par Jean-Baptiste François

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