Par A. Thouvenot Mis à jour le 24/07/2012
«A l’Etat, la sécurité. Au maire, la tranquillité publique. Au bailleur social, la tranquillité résidentielle », insiste Brahim Terki, directeur délégué à la tranquillité publique et aux affaires juridiques au sein d’Argenteuil Bezons Habitat (12 000 logements, Val-d’Oise). Ces cadres d’intervention, qui font aujourd’hui consensus chez les bailleurs, constituent leur matrice d’organisation face à la montée de l’insécurité. Cependant, tout comme le diagnostic, les réponses concrètes ne sont pas homogènes et surtout peu rendues publiques.
« Nous élaborons actuellement une stratégie nationale, notamment en constituant un réseau de référents pour la sécurité », indique Claire Thieffry, responsable du département « sécurité » à l’Union sociale pour l’habitat (USH).
Le personnel de proximité en première ligne - Aujourd’hui, ils sont entre 150 et 180 au sein des organismes HLM. Si leur nom diffère d’un bailleur à l’autre – référent sécurité, référent sûreté, chargé de mission tranquillité… – leur mission est toujours la même : traiter les enjeux de sécurité et de tranquillité de manière transversale, à la fois dans la gestion du personnel de proximité, dans les partenariats extérieurs, et dans la conception et l’aménagement des projets urbains.
Première priorité de cette fonction émergente : former le personnel de proximité et le conforter dans son rôle d’acteur de la tranquillité. Gardiens, agents d’entretien, équipes de maintenance sont à la fois les vigies des troubles et « les premiers maillons de la chaîne de résolution des conflits », constate François Ohl, consultant spécialisé dans le logement social. Jeux de ballon dans la cage d’escalier, dégradation des espaces verts, mécanique sauvage… « Ce sont eux qui rappellent, au quotidien, le règlement intérieur. Mais leur positionnement est délicat, avec le risque de trop en faire », reprend le consultant. Les modules de gestion de l’agressivité et des situations conflictuelles ainsi que les guides « réflexes » sont désormais indispensables.
Pour lutter contre l’épuisement du personnel de proximité, les organismes mettent également en place des outils de recueil et de traitement des incivilités. Selon l’USH, 58 % des bailleurs interrogés en disposent. « Les fiches incidents font l’objet d’un suivi systématique par l’agence de proximité, puis par l’organisme, qui y donnera une suite judiciaire si besoin. Cela conforte l’agent dans sa mission et de lui signifie qu’il n’est pas seul », souligne Brahim Terki. Parfois, la sécurité du personnel passe par son retrait. Sur les sites les plus exposés au trafic de drogue, les bailleurs sont pragmatiques et en viennent à modifier l’organisation du travail des agents : limitation des interventions dans la matinée, constitution de binômes, mais aussi recours à des sociétés de sous-traitance.
S’associer aux autres acteurs locaux - Le deuxième axe de travail pour les organismes HLM est le partenariat. Si la présence des bailleurs au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance est acquise de longue date, l’effectivité des partenariats n’est pas toujours réelle. Constat unanime : sur les sites dotés de systèmes de recueil, le bailleur dispose d’une veille fiable et précise du climat des quartiers – et, de ce fait, crédibilise ses difficultés vis-à-vis de ses partenaires. Les groupes locaux de traitement de la délinquance, dont la création donne lieu à une protection des secteurs à haut risque, notamment par une présence policière plus soutenue, s’appuient souvent sur ces données. Toutefois, les bailleurs restent vigilants : « Nos informations n’ont pas à renseigner les fichiers de police », insiste Brahim Terki, qui reconnaît que, parfois, l’exercice s’apparente à celui d’un équilibriste.
Autre effet tangible du travail partenarial : la mise en place d’une procédure simplifiée de dépôt de plainte. Après ordonnance du procureur, le personnel de terrain ayant constaté un méfait n’a plus besoin de se déplacer au commissariat (sauf en cas de violence à la personne). Il revient au référent sécurité ou au responsable d’agence de le faire. Cette procédure permet d’augmenter considérablement le nombre des plaintes déposées. En revanche, le partenariat avec les services de psychiatrie est quasiment au point mort : ni relais, ni interlocuteur au sein des hôpitaux psychiatriques ou des centres médico-psychologiques, le bailleur reste seul face aux troubles provoqués par des personnes en souffrance psychique.
Aménagement des bâtiments - Troisième enjeu, faire de la sécurité une priorité dans l’aménagement des quartiers et l’architecture des immeubles. Parmi les outils adoptés par les bailleurs, et à l’instar des autres espaces publics, la vidéosurveillance gagne du terrain. De même, la rénovation et la sécurisation des halls s’étendent, avec la mise en place de digicodes et la suppression des halls traversants. Certains organismes HLM condamnent les caves, comme l’Office public interdépartemental de l’Essonne, du Val-d’Oise et des Yvelines (OPIEVOY, 50 000 logements).
En revanche, la résidentialisation, longtemps considérée comme un outil permettant de distinguer le patrimoine du bailleur et l’espace public (par le biais de grilles ou d’aménagement de jardinets) et d’en rendre la surveillance plus simple, fait moins l’unanimité. Les acteurs soulignent le risque de « résidentialiser » le trafic en le rendant invisible depuis l’espace public.
Par ailleurs, une nouvelle obligation s’impose aux grandes opérations urbaines : les études de sécurité publique, désormais pierre angulaire des projets. Visant à intégrer la prévention de la malveillance dans la conception des sites, leur impact reste à démontrer. Une étude, pilotée par le secrétariat général du comité interministériel des villes et l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), concernant l’impact de la rénovation urbaine sur la tranquillité publique est actuellement en cours de réalisation.
Un recours massif à la médiation - Enfin, les bailleurs, soucieux de maintenir la présence humaine dans les quartiers, ont massivement investi dans la médiation sociale. Aujourd’hui, 800 000 logements sont couverts par un dispositif d’agents d’ambiance, de médiateurs ou de correspondants de nuit. Prévention des conflits, règlement à l’amiable des litiges et accompagnement des habitants après une crise sont les trois enjeux majeurs de la médiation qui, malgré ses effets bénéfiques, peine à trouver des financements. Un outil d’évaluation est actuellement en cours d’élaboration par le Réseau des villes correspondants de nuit et de la médiation sociale. Il devrait être opérationnel début 2013.
Le GPIS, une exception parisienne
Créé en 2004 par la mairie de Paris, le Groupement parisien interbailleurs de surveillance (GPIS) fait figure d’exception. Ce groupement d’intérêt économique, dont 13 bailleurs parisiens sont membres, emploie chaque nuit environ 160 agents pour surveiller 73 000 logements et une centaine de parkings souterrains. Une structure lourde – près de 6 millions d’euros par an pour la ville – qui semble difficile à transposer. Autre spécificité : le GPIS est à ce jour la seule structure de gardiennage à avoir mis en œuvre le décret du 21 décembre 2011 qui autorise les agents des sociétés de gardiennage travaillant pour des organismes HLM à être armés de bâtons de défense et d’aérosols incapacitants ou lacrymogènes.
En région, l’armement est loin de faire l’unanimité chez les bailleurs, qui considèrent que leurs missions relèvent de la tranquillité et non de la sécurité publique. C’est notamment le cas à Lyon, où une société de surveillance est mandatée pour assurer des rondes en soirée pour 34 000 logements. Ici, « ni médiation ni répression, mais de la dissuasion sur la base des règlements intérieurs », explique-t-on à l’office public d’aménagement et de construction du Rhône.
Lille métropole habitat : un nouveau souffle grâce au partenariat local
« Notre métier de bailleur ne consiste pas à s’attaquer à la grande délinquance, mais à faire en sorte que les gens puissent vivre le plus normalement possible, y compris dans les quartiers difficiles, explique Laurent Goyard, directeur général de Lille métropole habitat (30 700 logements sociaux). Si nous devenons des acteurs de la sécurité, c’est malgré nous. » C’est sur la base de cette analyse que François Dreux, responsable de la médiation et de la tranquillité au sein de l’organisme HLM, travaille.
Interlocuteur à la fois interne et externe pour toutes les questions relatives à la sécurité, il est avant tout un homme de terrain. Il coordonne notamment le dispositif des agents d’ambiance, qui sont chargés de faire appliquer le règlement des immeubles, contrôler l’accès aux parties privatives et communes des résidences et venir en aide aux personnes isolées, en particulier la nuit.
François Dreux travaille également en collaboration étroite avec les médiateurs qui gèrent les conflits liés aux troubles de voisinage ou ceux entre l’organisme et les locataires. Enfin, il accompagne le déploiement de la vidéosurveillance : plusieurs dizaines de caméras ont été installées et d’autres encore le seront dans les prochains mois. L’un des atouts du territoire est un travail partenarial de longue date avec la police, la justice et les collectivités locales. « Aujourd’hui, c’est un véritable langage commun qui nous unit, notamment grâce à l’observatoire des troubles de la tranquillité », se réjouit François Dreux.
CHIFFRES-CLÉS
1 million de logements vidéosurveillés
En 2010, 47% des 276 organismes interrogés par l’Union sociale pour l’habitat disposaient d’équipements vidéo sur une partie de leur patrimoine. Soit environ 1 million de logements couverts, précise l’USH. Selon une enquête approfondie menée auprès de 60 organismes en 2011, 72% en ont équipé les sous-sols et parkings, 63% leurs halls d’entrée, 18% les espaces résidentialisés, 17% les garages. Si aucune étude d’impact n’a pour l’instant été réalisée, les organismes observent que les parkings souterrains équipés peuvent à nouveau être loués.
Eric Chalumeau, président du cabinet de conseil en sécurité Icade-Suretis,
a participé à de très nombreuses missions auprès des bailleurs sociaux.
Il nous fait part de son constat et de ses préconisations.
Par H. Jouanneau Mis à jour le 24/07/2012
Partagez-vous le diagnostic d’insécurité dressé par l’Union sociale pour l’habitat ?
Absolument. Tous les bailleurs reconnaissent la forte dégradation de la tranquillité résidentielle, dont ils ont la charge. Dans ce contexte, le métier de gardien est de toute évidence l’un des plus exposés aujourd’hui à la malveillance. Dans le « meilleur » des cas, ceux-ci subissent insultes et injures. Ils font parfois l’objet de menaces ou voient leur véhicule dégradé. Sur les sites où les situations sont les plus extrêmes, où le contrôle du territoire est abandonné aux délinquants, la pression sur les personnels de proximité est très élevée. Il faut d’ailleurs saluer leur courage et parfois même leur héroïsme car certains se retrouvent placés sous une surveillance permanente des trafiquants. Pour l’employeur-bailleur, la prise en compte de cette souffrance au travail est un enjeu majeur. En ce sens, la formation de ces agents doit constituer une priorité.
Les bailleurs ont-ils les moyens de faire face à ces situations ?
Selon la loi, les bailleurs sociaux ont une obligation contractuelle de tranquillité résidentielle. Mais ils sont extrêmement prudents. Ils estiment que la sécurité publique n’est pas de leur ressort et qu’ils n’ont donc pas vocation à s’engager dans cette voie. Néanmoins, la plupart ont intégré la nécessité de siéger au conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. Il y a encore du chemin à parcourir car leur implication partenariale reste en général limitée. Bien en deçà de celle des opérateurs de transports, par exemple. En outre, il leur faut améliorer leur représentativité pour exprimer d’une seule voix leur vision du territoire. Dans les villes où l’on dénombre dix ou quinze bailleurs, ce n’est pas toujours le cas, loin de là. Une solution consisterait à créer localement une coordination de ces professionnels.
Sur le plan opérationnel, quelles sont vos préconisations ?
Il est indispensable d’adopter une approche globale des risques à l’échelle du patrimoine. Une fois cette vision globale clairement définie, les bailleurs feront leurs propres choix, humains et techniques, en fonction de leurs besoins. La priorité réside dans l’établissement d’un partenariat opérationnel et durable avec la police d’Etat. Les enjeux sont multiples. Il s’agit ni plus ni moins de réintroduire la légalité républicaine dans des secteurs parfois « enkystés », dont le contrôle échappe totalement aux bailleurs. Cela pose la question du renseignement policier, à consolider en lien avec les groupes locaux de traitement de la délinquance, et d’une police de contact, proche des habitants.
Qu’en est-il de la prévention dite « situationnelle » ?
Il faut souligner l’utilité de la vidéoprotection, qui est parfois décriée. Car si son impact en milieu ouvert peut laisser dubitatif, les résultats enregistrés dans les immeubles, les parkings et les locaux collectifs sont aujourd’hui tangibles. Il faut également compter sur la sécurisation des toitures et toute autre technique de prévention situationnelle, en complément de la présence humaine. Il y a là un investissement intelligent à opérer sur le patrimoine.