Pour Manuel Valls, le HLM est « une rente de situation »

Après avoir soigné les intérêts des investisseurs privés, le Premier ministre est venu clore le Congrès des organismes HLM, qui s’est déroulé du 23 au 25 septembre. Son message pourrait se résumer à « débrouillez vous sans l’Etat ! » Et il leur a donné trois mois pour faire des propositions afin que le logement social ne devienne pas « une rente de situation » (sic). L’esprit de la loi Boutin n’est plus très loin.
Malgré un agenda international très chargé, le premier ministre a tenu à être présent pour clore le 75e Congrès du mouvement HLM, qui s’est déroulé du 23 au 25 septembre, à Lyon. Il fallait bien envoyer un signe aux 750 organismes d’habitat social, écartés du plan de relance annoncé fin août par Manuel Valls.
Le discours n’a pas de quoi rassurer. Le message adressé aux bailleurs sociaux pourrait se résumer à : « Débrouillez-vous sans l’Etat ! » En ces temps d’austérité, le premier ministre a surtout insisté sur le fait que la contribution de la collectivité pour le logement social, autour de 20 milliards d’euros, «ne faiblit pas». Alors que les chiffres de la construction de 2014 s’annoncent catastrophiques, il n’a fait qu’énoncer des mesures déjà existantes : sanction renforcée pour le non respect des 25 % de logements sociaux, mise à disposition de foncier public, taux de TVA à 5,5 % et maintien d’une exonération de 25 % de la taxe foncière pour le logement social…«L’Etat pourra-t-il faire plus ? », a lancé à la tribune, Manuel Valls. La réponse, à quelques jours de la présentation du budget, est sans équivoque : « Il sera difficile d’aller au-delà.»
Fin août, cependant, le premier ministre n’avait pas hésité à casser la tirelire pour étendre les défiscalisations offertes aux investisseurs locatifs, qui pourraient coûter autour d’1 milliard d’euros, d’après certaines estimations. Ce qui vaut pour les spéculateurs ne vaut pas pour le monde HLM. Le doublement des aides à la pierre, promesse du candidat Hollande, semble définitivement enterrée. La seule véritable concession est l’abaissement de la TVA à 5,5 % pour l’accession sociale à la propriété dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, une mesure ne favorisant pas l’accroissement du parc locatif social.
Deux jours plus tôt, la ministre du Logement Sylvia Pinel avait de son côté annoncé une enveloppe d’un milliard d’euros, sur trois ans, pour le logement social. A savoir 750 millions d’euros destinés à rénover le parc, et le surcoût de travaux liés à l’amiante, et 300 millions destinés à la création de 15 000 logements à très bas loyers. Il s’agit d’un beau coup de com’. Car l’Etat ne mettra rien de sa poche. Ces mesures seront financées par les seuls bailleurs sociaux grâce à un nouveau prêt bonifié accordé par la Caisse des dépôts et par une mutualisation de leurs fonds propres. Pour y parvenir, les organismes HLM vont mettre en commun les dépôts de garantie des locataires et les surloyers instaurés par la loi Boutin. « Les locataires vont donc payer !, s’indigne Serge Incerti-Formentini, ancien président de la Confédération nationale des locataires (CNL). On va faire payer aux moins riches du pays, ceux qui vivent en logement social,  la production de logement pour les plus pauvres.» Faire jouer la solidarité nationale pour accroître la proportion de logements sociaux, peu chers, anti-spéculatifs, et dont le rôle contracyclique est reconnu par tous, n’est plus d’actualité pour Manuel Valls. Selon lui, la production de logements sociaux « doit reposer également sur la capacité d’autofinancement des organismes ».

Des organismes HLM inaudibles

Face au désengagement de l’Etat, aujourd’hui clairement assumé, le président de l’Union sociale pour l’Habitat, Jean-Louis Dumont, également député socialiste de la Meuse, a opposé sa « prudence » et son caractère d’«homme sage». Dixit Manuel Valls. «Nous voulons démontrer que le logement social n’est pas une charge pour l’Etat», a même abondé Jean-Louis Dumont qui s’est dit « raisonnablement optimiste ». Convaincu de « relever le défi » d’atteindre, grâce à la mobilisation des seuls bailleurs, l’objectif des 150000 logements sociaux. A la tête du mouvement HLM, il n’a cessé de parler comme si il était au service du gouvernement, un simple rouage de l’appareil d’Etat.

Quand Manuel Valls parle comme Christine Boutin

L’inversion des rôles semble décidément la règle au Congrès de l’Union sociale pour l’Habitat. La ministre du logement joue la partition des organismes HLM, dont les responsables parlent comme s’ils étaient ministre du Logement ! Quant à Manuel Valls, il a repris les thématiques chères à Christine Boutin quand elle était au gouvernement.
Encourager la mobilité dans le parc social est en effet devenu la nouvelle priorité du gouvernement, au prétexte que le « taux de rotation dans le parc social est deux fois inférieur à celui constaté sur le marché locatif privé ». Le calcul est simple. Faire sortir les habitants les moins pauvres des HLM permettrait d’accroître l’offre de logement à loyer modéré pour ceux qui n’arrivent pas à se loger dans le parc privé. Un raisonnement déjà mis en œuvre par la loi Boutin, à travers l’instauration d’un surloyer pour les familles aux revenus les plus élevés. Partout où il a été appliqué, ce«supplément de loyer de solidarité » n’a fait qu’accentuer la ghettoïsation des grands quartiers populaires. Cette conception résidualiste de l’habitat social, encouragée par la commission européenne, considère qu’il doit être réservé aux plus démunis. Elle contient en germes l’idée selon laquelle le logement est une marchandise comme les autres, qui ne doit relever que du marché et du secteur privé, sauf pour ceux qui ne peuvent se l’offrir.
Hélas ! Cet argumentaire est revenu à maintes reprises dans le discours de Manuel Valls. A la fin de son discours, il a supplié les bailleurs de tout faire pour « renforcer l’accueil des plus pauvres». «C’est le cœur de votre mission », a-t-il même ajouté.
« Se maintenir dans le logement social, a-t-il déclaré, c’est un droit pour les familles à revenus modestes. Mais je veux le dire avec force : un logement social ne peut pas être une rente de situation. » Et voilà comment ce gouvernement,  après avoir asssimilé les chômeurs à des fraudeurs, présente certains locataires HLM comme des rentiers ! Pourquoi pas des profiteurs, des privilégiés, tant qu’on y est ?!  C’en est presque indécent de la part d’un premier ministre qui a refusé l’encadrement généralisé des loyers dans le privé. Parce que le faible taux de rotation dans le parc HLM trouve d’abord son origine dans l’augmentation démentielle des prix, ces quinze dernières années, dans le secteur privé.

Vers un ANI du logement ?

Mesurant le caractère explosif d’un tel sujet, Manuel Valls a évidemment pris soin de ne pas « imposer des solutions toutes prêtes ». Il a néanmoins donné trois mois aux représentants de locataires, élus, bailleurs et partenaires sociaux de réfléchir sur le sujet. Lui s’est limité à poser les questions, mais elles en disent long sur ses arrières-pensées… « Faut-il moderniser radicalement les attributions ? Faut-il augmenter le supplément de loyer de solidarité ? Faut-il avoir des loyers en fonction des ressources des locataires ? Remettre en cause le droit au maintien dans les lieux ? Inciter davantage à l’accession sociale à la propriété ? »
Le gouvernement réunira tous les acteurs du monde HLM d’ici la fin de l’année pour recevoir leurs proposition. La méthode  rappelle furieusement celle employée pour la signature de l’Accord national interprofessionnel pour la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés, signé en janvier 2013. De façon antidémocratique, le patronat et trois syndicats minoritaires, sous la pression du gouvernement, avaient imposé des reculs sociaux dans le monde du travail.
Va-t-on assister à « un ANI du Logement » ? Il faut espérer que non. Car les dirigeants de l’Union sociale pour l’Habitat n’ont pas vraiment fait la preuve, lors de leur Congrès, d’une véritable capacité à jouer le rapport de force… A l’issue de ces trois jours de débats, plus techniques que politiques, et peu démocratiques, Manuel Valls a finalement reçu des applaudissements polis. « Il y a du mouron à se faire… », se désolait Serge Incerti-Formentini, en vieux briscard de la CNL.
P. Du.
Article paru dans l’Humanité du 26 septembre 2014.
Voir le discours de Manuel Valls en intégralité ici.

L’office public de l’habitat :
 une espèce en voie de disparition ?

Après la concentration des sociétés anonymes HLM, devenues en quelques années de grands groupes mêlant activités sociales et concurrentielles, c’est au tour des offices municipaux et départementaux d’entrer dans 
la valse des fusions, acquisitions et autres restructurations. Une logique gestionnaire encouragée par la réforme territoriale.
«Fusion», «absorption», «concentration» sont devenus les maîtres mots dans le monde HLM. À l’œuvre depuis plusieurs années, les restructurations se sont accélérées en 2013, selon la très officielle Miilos, autorité de contrôle des bailleurs sociaux. «La place des organismes de moins de 1 500 logements diminue inexorablement, occupant une place de plus en plus marginale dans le logement social», se rejouit-elle dans son dernier rapport, publié cet été. Il n’y a pas que les petits organismes HLM qui se font avaler.

Ces petits canuts n’iront plus à la rue

À Lyon, six écoles sont occupées chaque nuit par des militants et des enseignants 
pour exiger de la préfecture des solutions d’hébergement pour 194 élèves sans abri.
Célébrer les droits de l’enfant, c’est bien. Se battre pour les faire appliquer, c’est mieux. Tel a été le leitmotiv des militants lyonnais du collectif ­Jamais sans toit et du ­Réseau éducation sans frontières (RESF), le 20 novembre dernier. En ce jour anniversaire des vingt-cinq ans de la Convention internationale des droits de l’enfant, ils ont occupé neuf écoles pour alerter sur l’explosion des enfants sans-abri dans l’agglomération lyonnaise.

André Yché, lieutenant-colonel
 de la privatisation des HLM

Il est à la tête du plus grand bailleur de France. Il a théorisé la vente des HLM, 
la transformation des organismes en gestionnaires de portefeuilles d’actifs immobiliers. 
Il a fait des notes blanches à M. Sarkozy. Et il est toujours en place…

Inquiétant paradoxe. Le plus éminent promoteur de la marchandisation des HLM est aussi l’homme qui dirige le plus gros bailleur social de l’Hexagone. Il s’agit en l’occurrence d’André Yché, président du directoire du groupe SNI (Société nationale immobilière), qui gère un parc de 270 000 logements.
Ce militaire de carrière a intégré la SNI, bailleur historique des armées, en 1999, après un passage au cabinet d’Alain Richard, ministre de la Défense du gouvernement Jospin. Sous sa direction, la SNI va se lancer dans une politique de concentration effrénée, agglomérant treize sociétés HLM. Le nouveau groupe va rapidement devenir l’un des acteurs les plus puissants du secteur, grâce au soutien de la Caisse des dépôts et consignations, la banque de l’État, publique, dont la SNI est une filiale à 100 %.
Une position qui n’empêche nullement André Yché de vouloir dynamiter un «modèle HLM traditionnel en voie d’épuisement»«Les vieilles recettes (…), à commencer par le recours excessif à l’argent public, ne fonctionnent plus. Il est urgent d’en expérimenter des nouvelles», écrivait-il, cet été, dans une tribune au Figaro. On doit le reconnaître : cet ancien lieutenant-colonel de l’armée de l’air mène son combat au grand jour. Il a même publié son plan de bataille dans un livre (1), en 2011, pour dissoudre le logement social dans le marché. Tout y est !

Transformer les organismes en « opérateurs immobiliers globaux »

Face à la baisse inéluctable des aides publiques et la hausse des valeurs foncières, acceptées comme allant de soi, il faut, selon lui, trouver des financements en activant«les actifs immobiliers constitutifs du parc HLM», qui représentent «du capital mort». Ce capital dormant, «définitivement exclu des circuits économiques, tout comme les biens du clergé sous l’Ancien Régime» (sic!), est la source de «plus-values latentes». C’est écrit noir sur blanc. «Ignorer le stock de plus-values latentes recelées dans le parc de plus de quatre millions de logements (de l’ordre de 200 milliards d’euros ; 100 milliards d’euros pour les seules ESH) revient à mettre à la charge de la collectivité tout le poids de l’action publique.» Il faut donc vendre.
Une cession des logements HLM aux locataires serait d’ailleurs une «opportunité»pour ces derniers «de se constituer un patrimoine». L’accession à la propriété constitue d’ailleurs, pour ce stratège, le «point clé» pour «relancer les parcours résidentiels». Selon lui, la crise du logement ne peut se régler qu’en accélérant le taux de rotation au sein du parc, et au final faire sortir ceux qui le peuvent du logement social. N’hésitant pas, au passage, à proposer une remise en cause du droit au maintien dans les lieux des habitants. Cette idée dangereuse, réservant les HLM aux plus démunis, a été récemment reprise par Manuel Valls
André Yché ne s’arrête pas en si bon chemin. Pour dynamiser le logement social, il conseille d’«instiller des mécanismes de gestion privée» dans la gestion des organismes du logement social qu’il appelle «des opérateurs immobiliers globaux». «Constructeurs, vendeurs, syndics-gestionnaires de copropriétés, […] ils doivent acquérir progressivement toutes les compétences de gestionnaires de portefeuilles d’actifs immobiliers.»

Un stratège… et un homme de réseaux

Une note blanche synthétisant ses propositions, sans signature, comme celles des RG, avait été remise à Nicolas Sarkozy, alors à l’Élysée. Mais André Yché, qui se voyait, dit-on dans les cercles des dirigeants HLM, ministre du Logement en cas de victoire de la droite en 2012, est toujours en place. L’homme sait ménager ses réseaux : il a été épinglé par la presse parce qu’il avait embauché le fils du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian… En toute tranquillité, il peut mener sa révolution au sein de la SNI, qui devrait être le bras armé de l’État en matière de logement. Il attend d’ici à la fin de l’année le blanc-seing de l’exécutif pour mettre définitivement la main sur Adoma, bailleur spécialisé dans l’insertion par le logement. Avec l’espoir d’empocher les «plus values latentes» de son parc particulièrement bien situé, souvent au cœur des villes. Fin septembre, il a fait adopter par son conseil d’administration un nouveau groupement d’intérêt économique (GIE), pour mutualiser les outils de maîtrise d’ouvrage entre des entités assurant des missions sociales (Efidis, Osica…) et d’autres en charge d’activités dans le secteur libre. Un mélange des genres épinglé par le dernier rapport de la MIILOS.
Aujourd’hui, ce gestionnaire d’organismes du logement social a d’autres priorités que le logement social : développer le logement intermédiaire. Après de nombreuses réunions avec Emmanuel Macron, à l’Élysée, il a obtenu de l’État des moyens financiers pour développer 25 000 logements en secteur libre, avec des prix entre le logement social et les prix du marché. Et qui permet aux investisseurs privés d’obtenir une rentabilité de 5 % sur leurs investissements…
Pierre Duquesne
1. « Logement, habitat et cohésion sociale, au-delà de la crise, quelle société voulons-nous pour demain ? » Éditions Mollat, 2011.

Article paru dans le Supplément Logement de l’Humanité Dimanche n°437 du 13 au 19 novembre 2014.