“Le fond du problème c’est le manque quantitatif de logements”

Entretien avec Michel MOUILLART / Economiste, spécialiste de l’immobilier
Giuliano CAVATERRA   31/08/2013

Michel Mouillart, professeur d’économie à l’université de Paris Ouest est spécialiste de l’immobilier. Habitué des Entretiens d’Inxauseta c’est lui qui était chargé d’introduire l’édition 2013, hier à Bunus. En amont des entretiens, il a conduit des travaux universitaires sur la thématique de l’année : “Jeunes, emplois logement : une histoire d’accès”

Vous avez conduit des recherches sur l’accès des jeunes au logement. Quels sont les résultats de ces études ?
Il ne s’agit pas vraiment de recherches. Nous avons cherché à alimenter la réflexion sur ce sujet en vue des Entretiens. Deux groupes d’étudiants, de Paris et de Brest, ont mené des investigations afin d’illustrer le propos. Tout d’abord, on peut dire qu’il y a un constat partagé sur ce problème de l’accès au logement des jeunes et du lien avec l’emploi. Car le problème n’est pas nouveau, il se pose de façon accrue depuis les années 2000 mais les racines remontent à 25/30 ans. D’ailleurs les grandes organisations internationales comme l’Unesco avaient déjà alerté de ce problème en 1972 et 1985.

Les Entretiens portent sur le lien emploi/logement pour les jeunes. Y a-t-il une spécificité “jeune” dans ce domaine?
C’est la question que nous nous sommes posée. Car les mêmes difficultés se posent pour l’ensemble de la population avec les différentes crises qui se sont succédé. Ce que l’on voit c’est que les jeunes l’expriment de manière plus forte. Ils considèrent qu’il est plus difficile pour eux d’accéder au logement et à l’emploi. C’est donc une réalité. Une des explications est que les jeunes aujourd’hui connaissent une situation d’instabilité. Périodes d’intérim ou de travail saisonniers suivies de périodes de chômage, il y a une absence de linéarité, l’accès à un CDI est plus long. C’est une situation que ne connaissaient peut-être pas leurs parents. C’est la même chose pour le logement, c’est compliqué de se loger lorsqu’on est en situation de précarité professionnelle. Pour autant, est- ce différent pour les autres catégories de population ? Eux, le vivent comme tel.

Est ce que la situation est la même pour tous les jeunes?
Non, c’est ce qui fait la complexité de la question. On peut en fait faire quatre sous-catégories. Il y a les jeunes en formation : les étudiants et ceux qui sont en formation professionnelle; les jeunes en insertion professionnelle c’est-à-dire ceux à la recherche d’un emploi ou en situation d’instabilité professionnelle; il y a les jeunes actifs, ceux qui sont en CDI et puis il y a les jeunes en difficulté, en errance. La complexité de la problématique vient de l’existence de ces sous-catégories. On ne peut comparer la situation d’un saisonnier avec celle d’un jeune en CDI, même s’il a de faibles revenus.

Quelles sont les réponses apportées par les pouvoirs publics à cette question ?
Jusqu’à présent les réponses des pouvoirs publics ont déçu. Il y a bien eu trois grandes lois sur l’emploi des jeunes depuis 1997 : les contrats jeunes, le contrat première embauche, –même si finalement la loi a été retirée– et les contrats d’avenir. Mais il n’y a jamais eu de prise en compte du problème de l’accès au logement. Au niveau de l’action publique il y a eu le rapport Anciaux qui préconisait la construction de 50 000 logements étudiants mais huit ans après il n’y en a pas 50 % qui ont été réalisés. Quant au projet de loi Alur*, sur 174 pages on ne trouve qu’une seule fois le mot “jeunes”.

Pourquoi cette non-prise en compte du logement des jeunes?
C’est un des objets des débats aujourd’hui. Peut-être parce qu’il y a des initiatives locales, comme ici en Aquitaine ou encore dans la vallée du Rhône. Finalement l’Etat délègue aux acteurs locaux le soin d’apporter des réponses au problème. Mais il faudrait un cadre national, global. Même si la loi ne peut pas tout il faut un cadre pour l’accès au logement de la même façon qu’il y en a un pour les PLH (Programme locaux habitat). Le PLH est bien encadré et l’action publique peut s’appuyer sur un contenu.

Pour revenir sur la loi Alur, quels sont en l’état, les points positifs et les manques?
Comme je le disais, le problème des jeunes n’est pas pris en compte. Il y a bien la notion de garantie universelle des loyers qui est proposée et qui englobe donc les jeunes. Mais c’est un élément, il n’est pas suffisant en soi pour résoudre la crise du logement. Et puis il y a des interrogations sur le financement de ce dispositif et la façon dont il va être géré.

Que faudrait-il de plus?
Il manque 900 000 logements en France. Ce qu’il faudrait c’est qu’il y ait une prise de conscience de cet important manque quantitatif. C’est pour cela que nous interpellons tant la majorité actuelle que la précédente et l’ensemble de la société.

Mais construire à tout-va, cela a été fait dans l’Etat espagnol et aujourd’hui on se retrouve avec des logements vides et des gens sans logement. Est-ce que construire massivement est la solution?
Ce n’est pas pareil. En Espagne on a construit pour des non-résidents. Ici, on parle de construire du logement pour les résidents. le problème de fond c’est ce manque quantitatif.

Mais le problème n’est pas le même partout. Il y a des zones comme la côte basque ou Paris où le marché est sous tension ...
Non, le problème est global et général. Si on fait la liste de toutes les villes universitaires où il y a des problèmes on quadrille l’ensemble du territoire. En 2007 ici à Bunus le thème était sensiblement le même que cette année. En ouverture le maire avait expliqué les problèmes qu’il avait pour loger ses jeunes. A Bunus ! C’est bien un problème global.

Les études montreraient que 500 000 emplois n’ont pas trouvé preneur à cause du logement. N’est-ce pas aussi un problème pour le patronat?
Bien sûr, pour tous les partenaires sociaux. C’est d’ailleurs pour ça que l’on retrouve aux entretiens des représentants des organisations patronales comme syndicales. D’ailleurs les partenaires sociaux se sont préoccupés de ce problème avant les politiques. Le manque de logement est un frein à l’activité économique. C’est aussi un frein à la mobilité professionnelle. Comment un jeune peut vouloir prendre un emploi dans une autre région si ce qui l’attend c’est de dormir dans sa voiture ou au camping ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire