Faut-il vendre les logements sociaux ?

Si les bailleurs sociaux se mettait à vendre massivement les logements rentabilisés de leur parc, ils pourraient en construire de nouveaux... mais pas forcément pour les plus pauvres.  /  Mathias Thépot
D'aucuns s'accordent à dire qu'il est nécessaire d'accroître l'offre de logements sociaux, notamment pour faire face aux dérives des prix dans le secteur privé et permettre l'accès à un logement décent au plus grand nombre. 
En se fixant l'objectif de construire 150.000 logements sociaux par an, le gouvernement a mis la barre très haut. En accroissant l'offre de manière substantielle, il pense pouvoir fluidifier un secteur bloqué* et doté d'un parc de 4,5 millions de logements avec un taux de remplissage de près de 97%.

Certes, un pacte d'objectifs et de moyens a été signé l'an passé entre l'Etat et les acteurs du logement social dans le but d'augmenter l'offre. Mais le désengagement tendanciel des pouvoirs publics du financement du logement social pousse tout de même les bailleurs sociaux à innover en matière d'autofinancement. Sur ce sujet, plusieurs courants s'affrontent.

Vendre pour augmenter les fonds propres et construire plus

Le plus controversé est celui préconisé par la Société Nationale Immobilière (SNI), premier acteur du logement social en France, et son président André Yché. Ce dernier estime que le mouvement HLM pourrait davantage profiter des plus-values à la revente de logements sociaux, ce qu'il ne fait pour l'instant qu'à la marge. Le président de la SNI évalue la plus-value latente de la totalité du parc HLM à 200 milliards d'euros. 
Organiser la cession de seulement 5% de ce parc rapporterait ainsi 10 milliards d'euros qui viendraient consolider les fonds propres des bailleurs sociaux et leur permettre construire davantage. Une manne financière de taille.

"Les organismes de logement social sont obligés en l'état actuel d'augmenter leurs fonds propres. Cette opération ne peut se réaliser que par la vente d'une partie de leur patrimoine en bloc ou à l'unité et par le développement d'opérations immobilières plus lucratives", atteste sur son blog hébergé par Médiapart Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire général de la CGT Caisse des Dépôts.

"Une évolution très dangereuse"

Il met cependant en garde sur le fait que "cette part d'autofinancement ne peut qu'aggraver les inégalités de traitement des populations et des territoires en fonction de la situation financière de l'organisme de logement social". C'est pourquoi il faut selon lui, "absolument encadrer cette évolution très dangereuse".
Certains parlementaires investis dans le monde du logement social sont pour leur part opposés à ce que prône la SNI. C'est le cas de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, ancienne secrétaire d'Etat au Logement. D'après elle, pratiquer la vente de logements sociaux à la marge ne paraît pas insensé, mais faire de ce principe un axe stratégique majeur ne produira pas les résultats escomptées. "Cela revient à camoufler le désengagement de l'Etat des aides à la pierre, et n'augmentera en rien la mobilité dans le parc de logements", assure-t-elle.

Vendre au détriment des plus démunis ?

Pis encore, cette politique pourrait nuire aux missions de base du secteur du logement social, selon Marie-Noëlle Lienemann. Elle craint en premier lieu que les logements vendus qui sortent du parc social le soient au profit de nouveaux logements qui seront construits plus loin en périphérie, engendrant un phénomène d'éloignement des populations les plus fragiles.
Mais elle craint surtout que la vente d'une partie du parc social ne se fasse au détriment des plus démunis. En majorité, les logements qui sont vendus sont en effet anciens et rentabilisés. S'ils sont en bon état, ils sont donc les plus disposés à accueillir des populations aux plus bas revenus. 
En revanche ceux qui sont construits sont en majorité de type "Plus" ou "PLS", c'est à dire financés par un prêt locatif social de la Caisse des dépôts ; et pour lesquels les plafonds de ressources demandés aux locataires sont adaptés aux classes moyennes. 

Pourquoi ces logements sont-ils privilégiés ? Parce qu'ils ne coûtent quasiment rien aux pouvoirs publics en termes d'aide à la pierre, au contraire des logements financés par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), qui sont destinés aux ménages les plus démunis dont les besoins sont les plus criants.

Diminuer la quotité de fonds propres dans les opérations

Plutôt que de tenter d'accroitre à tout prix le niveau des fonds propres des bailleurs sociaux, un autre solution consisterait à en réduire la quotité par opération. Un stratagème risqué que seuls les bailleurs sociaux à la puissance financière suffisante peuvent se permettre d'expérimenter.
Reste que les organismes de logement social peuvent désormais bénéficier, grâce à l'aval récent des Fonds d'épargne de la Caisse des dépôts, d'un allongement de la durée des prêts fonciers de 50 à 60 ans pour étaler la charge de remboursement de leur dette, ainsi que d'un différé d'amortissement allant de 10 à 15 ans.  
Ces deux mesures pourraient permettre aux organismes HLM d'accroître la part de dette dans les opérations de construction, et en conséquence de mobiliser moitié moins de fonds propres. 

L'Etat se doit d'optimiser ses aides

Et l'Etat dans tout cela ? Pourquoi ne prendrait-il pas ses responsabilités pour soutenir un secteur vital à la société française. Par exemple en se donnant les moyens de mobiliser rapidement un maximum de terrains publics constructibles, ce qu'il tente de faire ; où bien en optimisant les aides publiques existantes, comme les dispositifs fiscaux d'investissement locatif historiquement inflationnistes, parfois mal calibrés, et coûteux pour l'Etat.
Jean-Philippe Gasparotto rappelle dans ce cadre que chaque logement loué "en Scellier bénéficie en moyenne de 30.600 euros d'aide publique ; sachant qu'en 2009, les logements Scellier ont représenté les deux-tiers des ventes de logements neufs, soit l'équivalent de 68.000 logements". 
A titre de comparaison, "un logement social en 2014 coûtera en moyenne 7.000 euros" d'aide à la pierre, regrette-t-il...
Preuve que les pouvoirs publics disposent encore de marges de manœuvre suffisantes pour régler certains problèmes.


1.7 million de demandes de logements sociaux sont en attente, dont 1.17 million provient de personnes se trouvant dans une situation de difficulté à trouver un logement dans le parc privé. L'attente peut durer plus de 10 ans. Seuls 10,5% des logements sociaux sont libérés par an sur tout le territoire national, contre 6% en Ile-de-France, et 4,5% à Paris. Le taux de rotation des locataires du parc privé est pour sa part proche de 18%.

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