pourquoi continue-t-on d'expulser pendant la trêve hivernale?

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Les expulsions se multiplient l’hiver malgré la trêve instaurée pour y mettre fin.

L'hiver, les propriétaires ne peuvent plus mettre leurs locataires à la rue. Pourtant, les expulsions continuent... En décembre 2013, plusieurs squats ont été évacués. Environ 80 migrants d’Afrique de l’Ouest, qui occupaient un hangar près de Gentilly, à la Poterne des Peupliers, ont été mis à la rue le 17 décembre 2013. Dans le 19e arrondissement de Paris, ce sont les habitants du squat Le Bloc
qui ont été expulsés le 6 décembre. Cet immeuble de 7000 m2, ancien local de la Direction des affaires sanitaires et sociales (Ddass) d'Ile-de-France, avait été investi en décembre 2012 par 150 personnes dont des artistes et des personnes ne pouvant pas se loger.

Pas de trêve hivernale pour les squatteurs

Ces mises à la rue ont eu lieu alors qu'une trêve hivernale est instaurée du 1ernovembre 2013 au 15 mars 2014. Elle devrait bientôt être prolongée jusqu’au 31 mars dans la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur). Pendant cette période, l'article L613-3 du Code de la construction et de l'habitation prévoit que les locataires ne peuvent pas être expulsés, même si leur propriétaire a engagé une procédure et que l'expulsion est confirmée par un tribunal. Cette mesure a été créée en 1958 à la suite de l’appel de l’abbé Pierre diffusé à la radio quatre ans plus tôt.
Mais en 1991, une loi a autorisé l’expulsion des squatteurs. Cette décision a été réellement appliquée avec une jurisprudence du Conseil d’Etat en 2010. Aujourd'hui, si la préfecture ne procède pas à l'expulsion d'un squat, l'Etat est alors chargé d’indemniser les propriétaires. Cette pression financière incite davantage les expulsions.
Si l’occupant d'un logement s’y est installé illégalement et n’a pas de contrat de location, il peut en être expulsé car les tribunaux considèrent qu’il y est entré par voie de fait"C’est un problème que cela soit devenu systématique, car la voie de fait n’était qualifiée avant que lorsqu’il y avait une dégradation sur l’entrée d’un immeuble. Maintenant, la préfecture n’attend même plus que le juge ôte le bénéfice de la trêve", critique Anissa, juriste à l’association Droit au logement (Dal). Autrement dit, la préfecture prend désormais les devants pour évacuer les squats, sans attendre une décision de justice.
D’autres exceptions existent. L’expulsion est possible si une solution de relogement dans de bonnes conditions a été trouvée ou si le logement n’est plus habitable en l’état et fait l’objet d’un arrêté de péril. Celui-ci est pris par la mairie ou la préfecture, lorsque l'immeuble présente un danger pour la sécurité de ses occupants. Un locataire qui occupe un logement étudiant peut également en être délogé s’il a terminé ses études. Dans le cadre d'une procédure de divorce ou violences conjugales, les expulsions du domicile prononcées ne bénéficient pas non plus de la trêve.

Expulsions illégales

La trêve hivernale n’empêche pas les expulsions illégales. "Il y a eu plusieurs propriétaires dans le Nord-Pas-de-Calais qui se sont faits justice eux-mêmes, leurs locataires peuvent porter plainte, mais cela met beaucoup de temps à aboutir et la police intervient rarement pour réintégrer le locataire dans le logement", constate Anissa. Même si les occupants font l’objet d’une procédure d’expulsion, ne pas respecter la trêve hivernale constitue un délit. Les propriétaires risquent jusqu’à un an de prison et 15.000 euros d’amende.
"La préfecture ne se soucie pas du relogement des personnes qu’elle expulse, alors qu’elle a une obligation d’hébergement d’urgence", regrette Anissa. Quelques propositions sont faites pour les plus fragiles (familles avec enfants, malades), mais les autres squatteurs sont souvent renvoyés vers le 115, comme l'illustre le récent exemple des sans-papiers de Gentilly.

"Une trêve hivernale pour tous"

Faute de relogement après les expulsions, l'hébergement d'urgence sature. Moins de la moitié des demandes d’hébergement d'urgence sont pourvues. Selon le Dal, plus de 150.000 personnes sont sans abri et plusieurs centaines de milliers d’autres n’ont pas de logement stable. Une situation qui pousse les associations à exiger un droit de réquisition des logements vacants
Le Dal demande l'arrêt des expulsions des squats et appelle à un rassemblement devant l’Assemblée nationale le 14 janvier 2014, date de l’examen en deuxième lecture par les députés du projet de loi Alur. La Fondation Abbé Pierre demande notamment que la loi Duflot "rétablisse la trêve hivernale des expulsions pour tous et cesse les expulsions sans relogement".

Crédit photo: Christos Doulkeridis/Flickr.

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