"Voyez avec votre assistante sociale..." : j'ai 60 ans et je vais être expulsée de mon HLM

Chaque année, il y a près de 110.000 dossiers de demande
d'expulsion à l'encontre de locataires. (AFP PHOTO/M. BUREAU)

Chaque année, on compte près de 110.000 demandes d’expulsions. La plupart n’aboutissent pas, mais dans 10% des cas le locataire est prié de quitter son hébergement, parfois avec le recours de la force publique. Esther Eva H., 60 ans, habite Clichy-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine. Elle a jusqu’au 2 août pour partir.

Témoignage. Par Ex-bibliothécaire

Édité par Louise Auvitu, Nouvel Obs, le 11-07-14
  
J'ai appelé au secours, envoyé des courriers, donné une tonne d'explications. Je me suis adressée à la mairie, à tous les organismes possibles et inimaginables, demandant, suppliant, quémandant.

Puis, j'ai montré les crocs, porté plainte, me défendant, me querellant. Et enfin, j’ai espéré être entendue grâce aux réseaux sociaux.




Mais ça y est cette fois-ci, c’est sûr. La préfecture et le commissariat de police ont donné leur accord. A partir du 2 août prochain, je serai expulsée de mon appartement sans relogement, pas même le droit à l'hébergement d'urgence.

Inter

J’ai 60 ans et je vais être jetée à la rue, parce que mon RSA ne me permet pas de payer mon loyer HLM. Comment régler un loyer de 698 euros avec un RSA de 439 euros ? Même avec l’APL, mon loyer était égal à mon RSA.

En entrant dans ce logement en 2002, je trouvais le loyer excessif déjà, mais avec mon chômage en 2004, mon enfer a commencé, car mon bailleur n’a rien voulu entendre. La dette locative s’est vite accumulée, je n’ai pas eu les reins assez solides pour payer mon loyer et 100 euros en plus pour apurer la dette.

Ensuite, j’ai versé ce que j’ai pu. La vie était très difficile, l’assistante sociale m’avait dit qu’une fois le loyer payé, je pouvais avec ma fille vivre avec 200 euros par mois, elle voulait me montrer comment gérer mon budget.

Mon ex-compagnon et père de ma fille est décédé en 2006. Fin 2008, celle-ci a obtenu une pension d’orphelin, j’ai alors payé de 2009 à 2011 mon loyer dans sa totalité, donc versé tout mon RSA à mon bailleur social, dans l’espoir de la mise en place d’un concordat promis. J’ai demandé à régler en 3 ans ma part famille si le concordat était mis en place, car mon loyer devenait supérieur à mon RSA, mais cela a été refusé.

Je dois près de 35.000 euros à mon bailleur social

Ma dette locative s’élève maintenant à 35.000 euros. J’ai déposé plainte pour "dette forcée" puisque mon bailleur m’empêchait de déménager. Je devais rechercher par moi-même un autre logement, les autres bailleurs sociaux me demandaient de me rapprocher du mien pour un échange, mais celui-ci préférait donner l’ordre d’adresser à ma banque des oppositions au lieu de me soutenir.

Ma première demande de "vrai" logement social date du 28 mars 2007.

C’est surtout à cause des jugements que cette affaire a duré 10 ans. On peut penser que j’en ai profité, mais c’est sans tenir compte de toute la souffrance endurée : venues de l’huissier jusqu’à 2 fois par mois, stress des jugements, découverts à la banque, recherche de logement, d’emploi…

Difficile de trouver un travail à 60 ans

Vous allez me demander pourquoi je ne travaille pas. J’ai travaillé 30 ans, et ce n’est pas ma faute si un employeur a le droit de vous licencier, après plus de 15 ans d’ancienneté, à tout juste 50 ans !

J’ai suivi deux formations longues et diplômantes, multiplié les recherches d’emploi, mais elles n’ont jamais abouti sur un travail. Trop âgée ?

J’ai même tenté de créer ma propre entreprise, après avoir passé un master de documentariste, mais je n’ai pas pu obtenir les aides financières pour continuer.

Je vis sur mon RSA, soit 439 euros par mois

Le 21 juin 2010, j’ai cru sortir du tunnel, quand mon bailleur m’a promis la mise en place d’un concordat avec ma part famille prise en charge par le CCAS. Sauf que...

Lorsque m’a fille a déménagé fin août 2010, j’en ai tout de suite informé la CAF : dès septembre, non seulement mon APL été diminuée, mais mon RSA également, et cerise sur le gâteau, l’on m’a retiré en plus 45 euros durant sept mois. Je me suis donc retrouvée avec un RSA de 360 euros et un loyer HLM à payer de 420 euros, mais mon bailleur est resté sourd à ma situation, l’on m’a répondu : "C’est le système" et "C’est la vie" !

En 2011, j’ai calculé avoir réglé à mon bailleur social la somme totale de 4479 euros, alors que mon RSA s’élevait à 4796 euros, mais la somme totale réclamée était de 5374 euros. Mon effort a été stoppé net par la réception du commandement de quitter les lieux, datant du 24 octobre 2011.

En 2012, ma fille ayant atteint ses 21 ans, n’a plus eu le droit à sa pension d’orphelin ; de ce fait, elle ne pouvait plus continuer à m’aider. J’en ai averti mon bailleur, et la maltraitance a repris de plus belle. Le 14 juillet 2012, je me suis retrouvée avec 18 euros sur mon compte, car trois oppositions ont été envoyées d’un coup à ma banque, qui a pris trois fois 106 euros de frais.

Le 30 octobre 2012, ce sont quatre oppositions qui ont été présentées, et je me suis retrouvée avec un découvert de 356 euros. En octobre 2013, ma banque a versé à la recette municipale 323 euros de mon RSA, prétextant que je n’avais pas remis l’original du document de la CAF pour insaisissabilité du RSA à temps ! Comme j’ai insisté pour être remboursée, car pourquoi ne me l’a-t-on pas réclamé plus tôt, la banque m’a chassée !

J’ai demandé à avoir un studio. Mon bailleur m’a fait trois propositions. Les deux premières étaient trop chères, et pour la dernière en 2012, j’ai demandé des garanties, et l’étude avec clémence de mon dossier, car les rappels de charges et d’eau sont très élevés (facture de 208 euros d’eau en 2013).

Mais ma requête a été interprétée comme un refus, c’est pour cette raison que la mission-ville de Nanterre ne m’accorde pas le droit à l’hébergement d’urgence ! D’autant plus que j’avais refusé l’offre du DALO, en 2009, car l’on voulait nous faire héberger, ma fille de 18 ans et moi dans un centre qui accueille les prostituées.

"Voyez avec votre assistante sociale"

Cette expulsion ne me surprend pas, en plein été, je m’y attendais. J’ai alerté la mairie de Clichy, mais mes requêtes sont restées lettres mortes.

Je passe mon temps d’organisme en organisme, c’est un peu comme si l’on se renvoyait la balle sans jamais régler la situation. Je demande juste de l’aide. À chaque fois, on me sort le même refrain : "Voyez avec votre assistante sociale."

Mon assistante sociale a beau être sympathique, elle ne peut pas tout régler pour moi. Elle est en train d’établir un dossier d’hébergement d’urgence. C’est la seule chose qu’elle peut vraiment faire. Mais, j’ai eu froid dans le dos quand mon elle m’a dit qu’on appellera certainement le 115 !

J'ai écrit à François Hollande

Dans moins d’un mois, je serai à la rue. Bien sûr, ma sœur m’hébergera, mais vivre chez sa sœur quand on a 60 ans, ce n’est pas une solution. Et, je n’ai pas envie de lui faire endurer ça.

Personne n’a envie de finir SDF à 60 ans, je recherche un studio indépendant.

Je me suis battue depuis le début, mais je suis épuisée à présent. Malgré tout, je garde espoir.

Je ne comprends pas pourquoi un jugement n’a pas lieu, j’ai déposé plainte contre mon bailleur pour maltraitance en 2010, puis en 2012. J’espère encore que ma situation va s’arranger. J’ai écrit à François Hollande, à Manuel Valls, à plusieurs ministres, au directeur de la mission-ville de Nanterre. Je me suis adressée à Adoma, à toutes les associations qui disent venir en aide aux plus démunis et aux mal-logés.

J’avais proposé de donner tous mes meubles à l’huissier du Trésor public, mais il n’en a pas voulu. Je me fiche de les perdre, mais je veux juste vivre en paix, après toutes ces années de souffrance et d’angoisse, avec un toit au-dessus de la tête.


Propos recueillis par Louise Auvitu

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