Commission européenne et logement social

Depuis une dizaine d'années, les conflits se sont multipliés sur l'application des règles de la concurrence en matière de logement social entre Bruxelles et les organismes HLM. A l'heure où son mandat s'achève, le commissaire à la Concurrence semble revenir à une conception moins libérale du sujet. Marie Herbet / Contexte / 7 mai 2014
Connu pour ses passes d'armes avec Arnaud Montebourg sur les aides d'Etat, le commissaire européen à la Concurrence délivre, à quelques mois de la fin de son mandat, un message susceptible d'apaiser les esprits. "Il existe une confusion que je voudrais éclaircir, écrit Joaquin Almunia dans une lettre que nous avons consultée, adressée fin avril à la maire de Paris, Anne Hidalgo. La Commission ne prétend pas du tout imposer une définition du logement social." 

L'affirmation vient ponctuer une bataille qui oppose depuis une dizaine d'années les instances européennes au secteur du logement social. Ce dernier doit-il se cantonner à la frange la plus pauvre de la population ? Ou doit-il rester accessible à une palette plus large de personnes pour favoriser la mixité sociale dans les immeubles ?
Les Pays-Bas, puis la Suède, la France…
Tout est parti des Pays-Bas, lorsque la Commission, appuyée dans sa démarche par le secteur privé de l'immobilier, a commencé, dès 2005, à exprimer des doutes sur le régime néerlandais très large de logement social. 
Un enjeu qui s'est depuis répandu comme une traînée de poudre, remettant en cause le service public du logement en Suède et aiguisant la méfiance des organismes de HLM d'autres pays, dont la France, sur l'ampleur du droit de regard de l'UE sur ces services publics.

Dans sa réponse de fin avril, le commissaire Almunia dit partager "la conviction" visant à garantir une "qualité de vie décente" aux citoyens. Si le secteur du logement social y voit une inflexion positive, la vigilance reste de mise. 
Récemment, l'Union sociale pour l'habitat, en France, a alerté par écrit trois ministres (Sylvia Pinel au Logement, Harlem Désir aux Affaires européennes et Najat Vallaud-Belkacem à la Ville), les invitant à se mobiliser sur le dossier.
Désaccord persistant
Historiquement, les Pays-Bas ont opté pour une conception jugée trop large du logement social, dont l'accès n'était réglementé par aucun plafond de ressources, alimentant ainsi les critiques du secteur privé qui s'estime victime de concurrence déloyale. Le gouvernement néerlandais se résout finalement à adopter une limite : depuis janvier 2011, seuls les foyers disposant de revenus inférieurs à 33.000 euros annuels pourront y prétendre. 
Problème, les négociations, tenues dans un climat conflictuel avec la commissaire à la concurrence de l'époque, la libérale Neelie Kroes, ont laissé des traces. La révision opérée reste contestée par les organismes de logements sociaux néerlandais, car le seuil de ressources retenu serait inadéquat : 
il ne fait pas cas du nombre de personnes composant le ménage et seuls 10% du parc de logements aidés peuvent être attribués à des foyers dérogeant au plafond de 33.000 euros.
L'arrêt final est attendu cet automne
L'affaire est toujours pendante. Ce mois-ci, des auditions auront lieu à la Cour de justice de l'UE de Luxembourg, à la suite d'un recours formé par les organismes néerlandais, appuyés par l'Union sociale pour l'habitat et la fédération européenne Cecodhas. L'arrêt final, attendu cet automne, scellera le sort du régime négocié en 2009 avec la Commission, pour qui le périmètre du service public (dit service d'intérêt économique général) doit se restreindre aux plus défavorisés. Il conviendrait donc au privé d'assurer l'offre de logements pour le reste des locataires. 

Preuve supplémentaire du désaccord persistant avec Bruxelles, le Parlement néerlandais a "relevé le plafond à 36.000 euros sans prévenir la Commission", indique un proche du dossier.
L'enjeu de la mixité sociale
Ce climat a aussi accru la mobilisation des élus locaux. En mai 2013, les maires de 18 villes, dont Paris, Nantes, Berlin, Milan, Vienne ou encore Amsterdam, avaient adopté une résolution dans des termes fermes : "Nous désapprouvons l'approche visant à se concentrer uniquement sur les groupes à faibles revenus, car cela aboutirait à de la ségrégation sociale." 
Fin 2013, l'ex-maire de Paris Bertrand Delanoë avait renchéri en adressant une lettre au commissaire au Marché intérieur et aux Services Michel Barnier, suivie, un mois plus tard, d'une missive adressée par l'édile de Vienne, Michael Häupl. 

Dans cette bataille pour le respect de la "subsidiarité", les "choix exprimés par les élus locaux ont eu plus de poids que la voix des Etats", estime-t-on à l'Union sociale pour l'habitat.

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« La Commission Européenne a une vision restrictive du logement social »

Publié le 14/05/2014 • Par Catherine Le Gall 
Laurent Ghékière, directeur des affaires européennes de l’Union sociale pour l’Habitat, revient, dans une interview à La Gazette des communes, sur le bilan des enjeux liés au logement social, suivis par le Parlement européen.

Quel bilan tirez-vous de la précédente mandature ?

Le premier élément positif est que les organismes de logement social peuvent accéder aux Fonds Européen de Développement Régional (FEDER). Ce résultat est l’aboutissement d’une campagne de deux ans pour faire reconnaître la spécificité du logement social. De plus, le plafond qui limitait ces financements à 4% de l’enveloppe totale a été supprimé. 600 projets de rénovation thermique ont déjà été financés par ce biais à ce jour. Nous devons aujourd’hui nous assurer que cette mesure va être reconduite au niveau régional.

Quels sont les enjeux à venir devant le Parlement européen ?

Il y en a plusieurs. Concernant la TVA, tout d’abord : le logement social bénéficie d’une TVA réduite au titre de « bien de première nécessité ». Il est aujourd’hui question d’appliquer un taux « normal minoré » à notre secteur et nous devons travailler avec le Parlement européen pour conserver l’acquis de la directive TVA actuelle. Deuxièmement, la « directive services » va être revue et cela pourrait remettre en question les agrément spécifiques, délivrés par l’Etat, aux organismes de logement social sous prétexte qu’une telle disposition est une entrave au marché intérieur. Là encore, nous devons nous positionner dans les débats à venir.

Quelles sont les nouvelles tendances auxquelles le logement social doit s’adapter au niveau européen ?

Nous sommes actuellement face à un nouveau phénomène lié au contrôle, par la Commission Européenne, des données macro-économiques qui président aux budgets des Etats membres. Celui-ci conduit à des recommandations ayant des répercussions sur le logement social. Ainsi, la Commission Européenne a demandé aux Pays-Bas et à la Suède de supprimer les contrôles exercés sur les loyers au motif qu’ils étaient trop exigeants et qu’ils pesaient sur la régulation du parc privé. Cette décision est prise sans que le Parlement ait été consulté au préalable alors que les conséquences sont importantes. Nous aimerions que le Parlement soit co-décisionnaire puisque cela peut avoir un impact sur le pouvoir d’achat des ménages.

La justice européenne doit se prononcer à l’automne sur le contentieux qui oppose les Pays Bas à la Commission européenne. Que peut-on attendre d’un tel jugement ?

La Commission Européenne a une vision restrictive du logement social : elle estime que c’est un service public qui s’adresse exclusivement aux populations les plus défavorisées. Or, les Pays-Bas ont une conception plus large du champ d’intervention du logement social dans le marché du logement. L’USH et la fédération européenne ont soutenu les Pays-Bas devant la Cour de Justice et nous attendons que le calendrier des audiences soit fixé. Sa décision est importante car, si elle est en notre faveur, alors la définition des services publics à caractère social reviendra explicitement aux Etats membres et non plus à la Commission.



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